
Raconte-moi ton Objet : Les Flammes de l'Enfer - Nathaniel Dupuis (Fév.2024)
Les Flammes de l'Enfer
Associé du Léros-Mart – Petite ville de Léros-Ycart (Qc)
Le vol à l'étalage est un fléau partout à travers la province, certains endroits étant pire que d'autres. Lors de la pandémie, lorsque nous contrôlions l'accès aux clients, le taux de vol avait diminué. Depuis le retour a la normal, le vol a explosé dans les commerces de détail. À croire que les gens croyaient qu'ils pouvaient tout bonnement se servir comme bon leur semblait. C'était tellement injuste qu'on ne puisse absolument rien faire pour les arrêter, à moins d'avoir un agent de sécurité, mais la compagnie n'était pas pressée d'en engager un. Elle préférait probablement économiser sur le tarif de l'agent et continuer d'essuyer davantage de perte en vol et nous mettre ça sur le dos pour éviter de nous octroyer une bonification annuelle.
C'est rendu monnaie courante pour moi, qui travaille à l'entrepôt et qui donne un coup de main à mon collègue des réclamations, de trouver beaucoup de boîtes vides d'articles volés ainsi que des codes-barres manquant sur d'autres articles. L'avantage d'un commerce de détail pour les voleurs, c'est qu'ils ont tous les outils à portée de main pour procéder à leurs vils desseins. De plus, ce n'est que la pointe de l'iceberg : la tonne de boîtes vides ne représente même pas la totalité des vols en magasin. En effet, une collègue a aperçu un « client » voler une génératrice directement sous nos yeux! Sa compagne était venue quelques minutes plus tôt en repérage. Ensuite, il était venu mettre la génératrice dans un panier et l'a emmené a l'aire des caisses, l'abandonnant là en prétextant qu'il avait oublier son portefeuille. Il est sorti dans le stationnement pour avertir sa conjointe et il est entré à l'intérieur et en même pas 5 minutes, il ressortait avec l'appareil en courant. Il l'a mis à toute vitesse dans le véhicule et a pris la fuite au moment où une collègue arrivait pour prendre en note la plaque d'immatriculation. Évidemment, la police ne ferait jamais rien, car le vol a l'étalage semble un sujet tabou. À croire que les lois ne s'appliquent pas pour eux, que c'est permis de voler et qu'il n'y aura jamais de conséquence. Et cela, ce n'est qu'un cas parmi tant d'autre. Il y a aussi notre voleuse nationale, Louise! Elle a déjà travaillé pour nous par le passé et a volé directement dans les caisses. Souvent, elle vient et se remplit des sacs de vêtements comme si tout lui appartenait. Je ne sais pas si elle souffre de cleptomanie, mais on devrait carrément pouvoir lui interdire l'accès au magasin. Pourtant, rien à faire.
C'est frustrant à quel point nous n'avons aucun pouvoir sur eux. On ne peut absolument rien faire sauf « essayer » de les dissuader, mais ils nous rient dans la face! ILS savent qu'on ne peut rien faire pour l'instant.
Mais les choses sont sur le point de changer.
En effet, nous sommes présentement à la recherche d'un agent de sécurité qui va pouvoir procéder aux arrestations et les humilier pour qu'ils ne recommencent plus jamais! De plus, le centre commercial a l'intention de lui permettre d'avoir un local propice pour la détention s'il accepte de faire des tournées dans les autres magasins. Il faut dire que notre centre commercial est petit. Il n'y a qu'une dizaine de petits commerces.
Une nouvelle journée commençait, en ce lundi matin. L'aube d'un nouveau règne. En arrivant dans l'entrepôt cette journée-là, suivant un week-end assez achalandé, le bac à vol était plus que plein. Pourtant, nous n'étions pas encore le premier du mois, même si nous nous y approchions.
Comme à son habitude, Marco, le gérant de succursale, nous appelle pour la rencontre quotidienne avant l'ouverture du magasin. Il était heureux de nous apprendre que nous avions trouvé un agent de sécurité ayant déjà suivi toutes les formations adéquates et qu'il commençait dès aujourd'hui. L'homme se nommait Gustaf et il avait une belle apparence de viking moderne. Ses vêtements donnaient l'impression qu'il était un client ou un simple fournisseur venu remplir les étagères. Gustaf nous expliqua qu'il était un ancien policier et qu'il s'était recyclé comme agent de sécurité pour des raisons personnelles. Malgré qu'il entrait officiellement en fonction aujourd'hui, il n'opérerait que jeudi, soit le premier du mois selon le calendrier, car il voulait se familiariser avec le magasin, le centre commercial et les clients afin d'être plus efficace.
Jeudi le 1er Février – Gustaf Ivanov, l'agent de sécurité
Enfin le jour J ! J'allais pouvoir faire justice et m'occuper des voleurs auxquels la police ne daignait plus prêter attention. On m'avait fait un topo sur les voleurs « célèbres » de la place, notamment cette Louise et ce Jean-Guy. La tension est à son comble lors de la rencontre quotidienne à laquelle j'assiste avec les autres employés du magasin. C'est LA journée où les bizarres, les tout croches et les puants sortent de leur tanière avec l'argent du gouvernement si « durement » gagné. Ces fléaux de la société, qui se permettent de vivre sans effort au détriment de ceux qui se tuent à l'ouvrage, me répugnent. Ils ne sont que des parasites qui abusent du système et qui privent ceux qui en auraient besoin. Ils fraudent et volent, mais personne ne fait rien contre eux, sous prétexte qu'ils n'ont rien à saisir et que les prisons sont pleines. Ça me dégoute. Le seul point positif, c'est qu'ils contribuent au profit du magasin en dépensant leur chèque ici.
Pendant la réunion, certains employés rigolaient que ce serait le moment approprié pour remettre le masque et de l'huile essentielle pour contrer les odeurs nauséabondes, alors que d'autres suggéraient qu'on les suivent à la trace avec du Febreeze. Je restai de marbre à leurs plaisanteries, réfléchissant au déroulement de la journée qui allait suivre.
Les « indésirables », ou devrais-je dire les clients, étaient déjà aux portes telle une meute de zombies affamés prête à dévaliser le magasin à la recherche de viande fraiche. Je me retire loin de la vue des clients afin de pouvoir réapparaître parmi eux ni vu ni connu. Je me dis que j'aurais peut-être dû m'habiller comme eux pour créer un camouflage et les infiltrer. Mon pantalon cargo et ma chemise faisait peut-être trop officiel comparé à leur pantalon déchiré, leur chandail tâché ou trop petit pour eux et leur pyjama.
Malgré les clients déjà présents dès l'ouverture, l'achalandage n'était pas intense. Probablement que les vrais indésirables vont dormir jusqu'à midi avant de sortir le bout de leur nez et leur fond de culottes jusqu'ici. Cependant, malgré le faible achalandage, ma matinée ne fut pas de tout repos.
Un client avait tenté de voler une souffleuse à neige en créant une diversion pour quitter le magasin avec le produit sans payer. Je l'ai arrêté en lui faisant une clé de bras alors qu'il se montrait agressif.
- Tu vas me lâcher mon tabarnak!
- Il n'y a que deux options pour toi : tu payes la souffleuse ou tu viens avec moi, de gré ou de force.
- Je m'en calisse de la souffleuse pis j'te suivrai pas, le cave!
- Comme tu voudras.
Au moment où je voulais l'embarquer, la gérante adjointe Suzie m'a dit que je pouvais le laisser partir, étant donné que la souffleuse était restée dans l'enceinte du magasin et qu'il ne l'avait pas volé au sens propre du terme. Il ne s'agissait que d'une tentative. Contre mon gré, je le laissais filer et malgré sa frustration, à la vue de ma carrure, il a laissé tomber les représailles en maugréant. Je me suis juré que la prochaine fois, j'attendrais qu'il soit sorti et je l'attraperais au tournant. Ainsi je pourrais l'emmener derrière les barreaux de la cellule du centre d'achat.
Mon prochain cas fut une cliente, une vraie Karen comme on dit aux States, qui criait après l'employé du service à la clientèle car le remboursement n'était pas permis. Les conditions étaient échues et la cliente ne comprenait pas, ou plutôt refusait de comprendre que c'était impossible à rembourser. Il a fallu que je me tienne proche pour la calmer. Ayant l'allure d'une armoire à glace, ma simple présence désamorce la majorité des situations. La cliente a fini par quitter en menaçant de faire une plainte au siège social et de faire renvoyer l'employée.
La journée avança et vint enfin l'heure des morts-vivants, le moment où les dépendants du chèque sortent de leur tombe pour envahir les commerces et les submerger de leurs odeurs corporelles nauséabondes. Certains de ces clients peuvent sentir à des kilomètres à la ronde. J'étais dans la section des jouets en train d'escorter un regroupement de jeunes qui n'avaient rien d'autre à faire que d'envoyer balader tout le monde et de lancer des articles partout et j'arrivais à sentir le client puant qui venait d'entrer dans le magasin. Pourtant, ces deux endroits étaient à l'opposé. Une fois que j'eus fini d'escorter les jeunes à la sortie du magasin, c'est à ce moment que j'aperçus celui qui allait devenir mon premier prisonnier de la journée, l'autre m'ayant échappé à cause de l'adjointe. Cet individu portait une vieille salopette sale et puait la mort. Il se mit deux barres de chocolat Reese dans son caleçon et continua son chemin vers les articles saisonniers. Il se prit une pelle et d'autres articles avant de se diriger vers les caisses. Je continuais ma filature jusqu'au moment où il finit de payer et se dirigea vers la sortie. Je l'interpelai à l'extérieur du magasin, là où j'avais le pouvoir de procéder à son arrestation. Les chocolats avaient commencé à fondre et on y voyait la trace derrière sa salopette. Je procédai à l'arrestation malgré son refus. Je l'escortai jusqu'à mon bureau, l'humiliant devant tous les clients du centre commercial.
Mon local était petit. Il y avait un bureau en entrant, une cellule au fond et une porte à gauche menant au sous-sol. La cellule pouvait contenir une dizaine de personnes si son les serrait comme des sardines. La pièce était insonorisée et verrouillée. Il n'y avait que moi et le propriétaire du centre commercial qui avait accès à cette pièce. Je l'y enfermai malgré ses protestations.
- Laisse-moi sortir! Tu peux pas me garder ici contre ma volonté!
- Figurez-vous que j'en ai le droit. Je peux faire ce que je veux de vous. Je peux vous garder pendant 24h dans les conditions que je trouve propices pour vous. Que cela vous serve de leçon. Le vol à l'étalage c'est contre la loi.
- Je n'ai rien volé!
- Comment expliquez-vous les Reese dans votre pantalon?
- Mais c'est pas moi!
Le dialogue est inutile lorsque l'individu ne reconnait pas ses torts. Je l'ai vu faire, j'avais le droit de procéder a son incarcération. Je le laissai languir ici pendant que je retournais au magasin et continuer mon travail, m'assurant de verrouiller la porte. Ses cris se turent au moment où cette dernière se referma.
Le reste de la journée se déroula bien, j'arrêtai deux autres voleurs qui allaient tenir compagnie a Monsieur Salopette. Je leur remis un paquet de cartes à jouer pour passer le temps, même si cela ne semblait pas faire leur affaire.
Je me permis une tasse de café afin de tenir éveillé pour le reste de la soirée. En pianotant sur mon cellulaire, je regardais les annonces pour l'achat d'un nouveau camion jusqu'au moment où je vis une nouvelle de dernière heure stipulant qu'un corps avait été retrouvé dans un vieux hangar de la région. Il s'agissait d'une femme portant un kimono. Les détails sur les causes du décès étaient tenus confidentiels, mais tout portait à croire que le meurtrier était toujours actif dans la région.
La suite de mon quart de travail jusqu'à la fermeture ne fut pas de tout repos. Des clients découpaient les codes-barres de divers articles avec des ciseaux pris sur place pour les apposer à d'autres articles afin d'économiser en payant moins cher. Ces économies leurs serviraient à se payer de la drogue ou de l'alcool. D'autres clients avaient jeté, dans les poubelles des toilettes, les emballages de divers produits tel que des casques d'écoute, des outils, des batteries de secours et j'en passe. La fin de soirée a laissé sa place aux clients intoxiqués et presque violents. J'ai dû en appréhender un dans le rayon des produits pour bébé. Il se montrait menaçant envers l'employé, car monsieur voulait une bassinette qui venait avec un matelas. Il ne voulait pas payer ces articles séparément, mais l'employé essayait de lui faire comprendre qu'ils ne se vendaient pas ensemble. L'homme avait deux yeux aux beurres noirs et il était baraqué, mais pas autant que moi. Je voulus l'escorter jusqu'à la sortie du magasin, mais il se débattait et essayait de me frapper. Il prit le premier objet à sa portée, soit un livre épais sur l'hydraulique urbaine et essayait de me frapper avec. Il perdit l'équilibre et j'en profitai pour procéder à son arrestation pour agression. L'adjointe Amélia, qui faisait le quart de soir, me demanda si j'avais besoin qu'elle compose le 911 pour cet individu.
- Je maitrise la situation. Je l'embarque au bureau et je m'occuperai de lui plus tard.
- Tu es sûr? Il a l'air assez agité et menaçant.
- T'inquiète.
Je pris la direction de mon bureau pour le mettre derrière les barreaux avec les autres. La route pour s'y rendre ne fut pas de tout repos, car il se débattait avec force, mais il ne faisait pas le poids contre moi. Les autres détenus n'étaient pas d'accord d'avoir ce paquet de trouble intoxiqué et violent avec eux, mais je ne leur laissais pas d'autre choix. Après lui avoir retiré son cellulaire comme les autres ainsi que tout objet pouvant être potentiellement dangereux, je l'enfermai. Il restait encore deux bonnes heures à mon quart, soit jusqu'à la fermeture du magasin.
De retour au magasin, je vis l'employé du ménage ramasser ce qui semblait être des pelures de patates.
- Que s'est-il passé avec ces pelures? De base, il n'y en a pas dans le magasin.
- Une cliente vraiment fâchée s'est mise à lancer des pelures de patates partout au service à la clientèle et aux caisses libre-service, parce qu'on ne vend pas de parasol ni de chaise berçante à ce temps-ci de l'année.
- Le monde est fou…
- MADAME! VOUS DEVEZ PAYEZ LA PLANTE! cria l'homme a l'accueil du magasin.
Je courus jusqu'à l'entrée du magasin pour y voir une cliente partir en courant avec une plante. Je partis à sa poursuite jusque dans le stationnement. Il faisait si froid en ce jour de février, que de la vapeur sortait de ma bouche. Je vis la dame faire le grand écart dans le stationnement dû à la glace. Réprimant un rire, je me rendis jusqu'à elle pour procéder a son arrestation. Elle essaya de me planter une fourchette dans l'œil, mais j'esquivai le coup et la désarmai. Je la redressai et l'emmena à l'intérieur jusqu'à la cellule d'office. Les prisonniers commençaient à se sentir coincés dans cet espace clos mais ce n'était pas mon problème.
De retour au magasin, je vis deux hommes se battre avec une perche et l'autre avec un broc a foin que l'on vendait à l'extérieur du magasin. Les deux hommes avaient l'air de ne pas avoir lésiné sur la bouteille au bar d'à côté et maintenant ils essayaient de recréer un combat au sabre laser digne de la Guerre des Étoiles. Étant armés et combattifs, je préférais m'abstenir de m'interposer. Avoir eu un teaser, j'aurais pu les sonner en même temps, mais tout ce que j'avais à disposition était le défibrillateur du magasin, que j'estimais qu'on ne me prêterais pas pour ce genre de situation. J'établissai un périmètre de sécurité autant pour les employés que pour les clients, afin que ces deux morons ne blessent personne d'autre. L'adjointe ayant déjà appeler la police, car il s'agissait là d'un cas de force majeure dépassant mes compétences de simple agent de sécurité, je n'intervins pas. Les gyrophares vinrent briser la noirceur en inondant les fenêtres des portes vitrées du mail. Deux agents de police vinrent calmer le jeu des deux imbéciles puis les embarquèrent. L'un deux avaient réussi à se faire transpercer le gros orteil par l'arme de l'autre dans leurs jeux idiots. Ils avaient clairement perdu la boussole, si seulement ils en avaient à jeun.
Enfin vint neuf heure, l'heure où le magasin fermait ses portes pour la journée, laissant les employés de nuit libre de tout client pour préparer le magasin pour la prochaine apocalypse de demain. Avec l'autorisation de l'adjointe, je pris une caisse de bouteille d'eau que je payai avant de me diriger vers mon bureau dans le fond du centre commercial. Après tout, j'avais des détenus a m'occuper.
Une fois rendu à mon bureau, avec ma pipette, je mis des somnifères dans les bouteilles d'eau. J'emmenai un prisonnier à la fois dans la pièce de la porte de gauche. Pour débuter, j'avais choisi l'armoire à glace intoxiquée. Étant donné qu'il était le plus dangereux, je préférais m'en occuper d'abord. Cette pièce était petite et avait une table, deux chaises et une autre porte au fond. J'offris une bouteille d'eau qu'il consomma d'une traite. La substance devait faire effet au bout d'une dizaine de minutes, ce qui me laissait le temps d'expliquer les délits et conséquences de ses actes avant qu'il ne perde connaissance.
- Comprenez-vous que je vous ai emmener ici à la suite de votre altercation brutale dans le magasin?
- M'en calisse, je veux mon matelas avec la bassinette!
- L'employée sur place vous a bien expliqué que les deux articles se vendent séparément.
- Moi je les veux ensemble! J'payerai pas pour deux affaires séparément crisse!
Cela ne servait à rien de débattre avec lui, c'était peine perdue. Il ne cessait de revendiquer son ensemble jusqu'à ce que je constate qu'il commençait à cogner des clous.
Une fois l'individu inconscient, je le pris pour l'emmener dans l'autre pièce au fond. Je le mis dans un brancard afin de m'aider à le descendre au sous-sol. Je le mis sur la plaque de l'incinérateur, l'attacha, et le poussa jusqu'au fond avant de fermer les portes et d'actionner l'interrupteur. L'incinérateur se mit en marche. J'en avais pour 1h30 environ avant de venir chercher les cendres. Heureusement que mon employeur, le propriétaire du centre commercial, en avait trois a sa disposition. Mon patron avait raison. Un jour de chèque était un jour parfait pour commettre un meurtre! Ou même plusieurs, en occurrence! Ces gens ne faisaient que voler, s'asseoir sur leur steak et dépendre du chèque mensuel sans lever le petit doigt pour la communauté… ils ne manqueraient à personne! Je pris deux autres détenus, ne laissant que la dame au grand écart et le monsieur à la salopette et sa « tâche de break ». Je devrais patienter pendant presque deux heures avant de les passer. La nuit s'annonçait longue.
Jean-Guy Moreau – Monsieur Salopette
Aujourd'hui, comme dirait les travailleurs, j'ai reçu ma paye! Ouais, c'est le premier du mois pis j'ai eu mon chèque! Je vais pouvoir aller dépenser au centre commercial aujourd'hui! Quoique, même sans chèque je peux quand même avoir ce que je veux au magasin.
Une fringale pendant le magasinage? Pourquoi ne pas me servir et d'ouvrir un sac de fromage en grain et ne jamais le payer? Le rasoir et les lames sont trop chères pour rien? Il suffit de me le mettre dans les poches, ni vu ni connue. Cet article est trop dispendieux et pas nécessaire? Pourquoi ne pas y apposer un autre étiquette provenant d'un article moins cher et le faire passer à la caisse? Ce n'est pas comme si les caissières allaient s'en rendre compte, étant donné qu'elles ne font que discuter entre elles et parler de la carte de crédit du magasin. Et puis, le vandalisme sur les articles dans le commerce est tout simplement hilarant!
Le secret, c'est de ne pas se faire prendre! Et puis, tout le monde sait qu'au magasin, ils ne feront jamais rien pour m'arrêter, puisqu'il n'y a pas de police! Je peux me servir comme je veux, j'ai l'droit! Le client est roi et ce n'est pas pour rien!
Il faisait beau lorsque je suis sorti de chez moi pour faire mon magasinage. Le ciel était bleu, la neige était laide et le sol était glissant. Je pris mon camion pour me rendre au seul endroit potable dans cette ville pour acheter (voler) des choses.
J'entrai dans le magasin et j'observais les gens se boucher le nez en ma présence. Je m'en foutais puisqu'il n'y a rien de mieux que l'odeur naturelle. Rien à foutre des produits d'hygiène qui ne sont qu'une simple arnaque pour voler notre argent! Je pris deux barres de chocolat Reeses que je mis dans mon caleçon. Ensuite, je me dirigeais vers les articles de jardinage. J'avais besoin d'une pelle, de terre et d'engrais pour un projet jardinage dans mon hangar. J'irais ensuite au magasin de fleur pour me procurer des pousses de chrysanthème pour ce même projet. Je devais quand même faire vite. Il y avait un client bizarre qui semblait me suivre et m'observer. Peut-être qu'il me trouvait de son goût ou bien je lui rappelais quelqu'un. Je n'en fis pas de cas et allais aux caisses afin de procéder à mes achats.
Une fois traverser les portes de sortie du magasin, le type étrange qui me suivait m'interpella. Lorsque je me retournais, il procéda à mon arrestation parce que j'avais soi-disant volé! J'essayais tant bien que mal de m'expliquer et de lui faire comprendre que je n'avais rien fait, mais il m'entraîna vers un petit local dans le fond du centre d'achat. Il me plaça en cellule en confisquant mon téléphone et mes clés. Il faisait humide dans cette pièce et il m'y abandonna tout seul! Je devrais remettre mon projet à plus tard, s'il me restait du temps pour ça…
Karena Peruna – Cliente
Je venais de terminer la préparation de ma salade de patate lorsque je remarquais que la plante que j'avais acheté il y a deux jours au magasin commençait à mourir. Pourtant, j'ai le pouce vert et je prends grand soin de mes plantes. Je mis la salade de patate au frigidaire et pris la plante avec moi pour la retourner au magasin.
Une fois rendue sur place, la fille au service, qui se pensait tout permise, me refusait mon remboursement parce que je n'avais pas la maudite facture. J'ai pourtant pris cette plante ici! Je lui ai lancé la plante ainsi que les pelures de patate que j'avais emmener avec moi et me dirigeai vers la sortie. J'en profitais pour me servir et me prendre une nouvelle plante pour remplacer celle que je venais de sacrifier. C'est à ce moment où j'entendis crier que je devais payer la plante. Il était hors de question que je me fasse fourrer deux fois avec leur plante morte!
Je sortis en courant du centre commercial, tout en étant poursuivi par un gars baraqué. J'avais oublié qu'en plein hiver, le stationnement n'est jamais déglacé et je fis une chute qui fit plus mal à mon égo qu'à mon physique. Il en profita pour m'arrêter et me traîner à l'intérieur puis vers un local au fond du centre commercial. Il y avait déjà quatre autres personnes dans cette cellule, dont un homme baraqué et magané, puis un puant. Le barbu m'y poussa avant de repartir. Depuis quand on va en prison pour une plante, bordel!
Marcel Dufour- Propriétaire du centre commercial
J'ai engagé Gustaf Ivanov afin d'accomplir ma mission dans ce monde. J'ai convaincu le Léros-Mart de l'engager officiellement afin qu'il ne soit pas lié directement à moi. En leur chargeant un loyer supplémentaire, je leur louais un local au fond du centre d'achat afin qu'il puisse procéder à des arrestations et attendre la fin de la journée pour faire venir les policiers pour arrêter les coupables, et non les faire venir à chaque fois qu'il arrête quelqu'un. C'était la couverture idéale, leur faire miroiter cette façade, afin de les convaincre d'investir dans cette location.
Je connais Gustaf depuis longtemps, depuis l'époque où il était toujours policier. Il a dû renoncer à son métier par soif de justice. C'était soit un départ volontaire ou une arrestation. Il était l'un des meilleurs policiers du pays, mais son côté justicier a fini par lui jouer des tours et il a dû suivre une autre voie. C'est pour cela que je lui ai parlé de cette opportunité : faire régler la justice sans conséquence. Il doit tout simplement utiliser les incinérateurs spéciaux du sous-sol afin que les âmes des brûlés aillent en enfer comme paiement pour la paix et ma richesse. Un échange de bons procédés comme on dit.
Il y a fort longtemps, mon centre commercial était florissant. Il y avait beaucoup de boutiques et d'achalandage. Mais un jour, tout s'est essoufflé et des commerces ont commencé à fermer leur porte. Je devais alors facturer plus cher les loyers qui restaient, mais avec la hausse des voleurs, les locataires essuyaient beaucoup de pertes monétaires et ils n'avaient plus les moyens de rester. C'était un cercle vicieux auquel je ne savais pas comment échapper. J'étais au bord de la faillite. Je ne savais plus quoi faire. Un homme habillé tout en noir m'est alors apparu et m'a proposé un pacte : si je le nourrissais d'âmes à travers les incinérateurs, il acceptait de me rendre prospère. Il me protégerait de la justice et je n'avais qu'à brûler des gens. C'était la meilleure aubaine! J'ai accepté sur-le-champ, me disant que je verrais ensuite comment y emmener les gens au crématorium sous-terrain.
Une fois le pacte signé, trois incinérateurs apparurent dans le sous-sol de mon commerce. Ils étaient magnifiques et terrifiants. Sur chaque incinérateur, il y avait une goulotte. Je demandais à cet homme mystérieux à quoi cela servait. Il me dit que je devais y déposer les cendres à l'intérieur une fois la crémation finie et que le produit finit devait lui être rendu sans attendre. Sur ces mot, il disparut.
Le lendemain, je commençais alors à utiliser les incinérateurs, commençant par mes créanciers. Une fois qu'ils furent brûlés, je pris les cendres pour les mettre dans la goulotte. Ce qui en ressortit était une grenade de diamant. Des cendres humaines qui deviennent des grenades de diamant, cela doit avoir une valeur inestimable! Mais malgré la tentation, je les mis dans la boîte du démon afin de lui restituer. En échange, la richesse se déversait dans mon compte. Je me rendis vite compte que je ne pourrais pas garder le rythme, je n'avais pas le temps de brûler les corps pour nourrir le démon Mammon et de gérer ma business. Il me fallait absolument de l'aide de quelqu'un qui avait soif de justice et qui ne craignait pas de se salir les mains. C'est pourquoi j'ai pensé a Gustaf Ivanov, le justicier.
Il accepta sans broncher ce contrat, car tout ce qui l'importait, c'était de faire régner la loi et la justice. Ironiquement, la police et les tribunaux n'œuvrent pas en ce sens, même s'ils tentent de prétendre le contraire. La seule justice qui importe est celle du peuple. En les prenant la main dans le sac, il est impossible de se tromper lorsqu'on abat le marteau de la justice.